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Indistinctement, la lueur de la présence :

Cheminement sans preuve et sans essai,

Tu témoignes du réel des choses, la prégnance,

Ô Poète-photographe, qu’ainsi il te plaît,

De nous offrir dans une vision singulière.

 

Avec toi, point de querelle qui du dessin

Ou de la couleur parvient à l’imitation :

L’art photographique est la parole du témoin

De la fragile et délicate situation

Des choses – révélation éclatante de lumière.

 

Qui d’une rencontre inouïe, un travail incessant

Dévoile la trace d’un passage, l’empreinte d’une chose.

Celle-ci ne se regarde pas comme on voit, savant,

Mais c’est avec elle, une mondanité éclose.

 

Pas plus que la lumière que masquent les objets

Qu’elle révèle, la photographie ne se voit pas.

Mais un ailleurs éclatant rayonne depuis ses

Insaisissables amarres et me transmet, ô joie,

 

Une invisible énergie.

 

                                                                           

                                                                                          Dans un train pour Paris, le 24 décembre 2013 , 

                                                               Michael Garancher ,

« Il n'est point de Serpent, ni de Monstre odieux,

Qui par l'art imité ne puisse plaire aux yeux.

D’un pinceau délicat l'artifice agréable

Du plus affreux objet fait un objet aimable. »

 

BOILEAU, Nicolas, l’Art poétique, « Chant III »

father

       Comment la photographie accèderait-elle au sublime sinon par le vertige dans lequel elle nous jette, par la suspension des références à une réalité déterminée, par l’énergie d’images qui éveillent les passions les plus vives, bref par un procédé qui ne saurait être l’imitation et qui étonne beaucoup plus qu’il ne plaît ? Imiter n'est pas copier, ni même simplement reproduire, c'est composer, élaborer et produire un texte, c’est avant tout donner des choses à voir et à y voir avec elles. Aussi bien serait–on tenté de soutenir qu’ici le photographe prend finalement au sérieux la définition donnée par Léonard de Vinci de la poésie comme « peinture aveugle »1.

Aveugle, en effet, comme opération aveuglante, oblitérant les images du monde perçu – les idées des choses. Ainsi sa tâche est d’extraire le réel de la réalité, « de recueillir ce qui venant à la présence s’avère le réel »2 et de témoigner de la présence même des choses en dé-bordant leurs images par l’exubérance de la représentation. Cette éthique de la rencontre esthétique que Francis Ponge appelle Parti-pris des choses, nommons-la ici poétique de l’Instant. Le geste photographique consiste à se-tenir-là-pour toujours d’une façon inouïe et démesurée, se dessaisir de soi préalablement afin de permettre un accueil inconditionné du réel. Mais alors l’acte photographique semble borné par le double travail incessant qu’il requiert : d’une part technique et d’autre part poétique. Remarquons cependant que la notion de travail semble recouvrir aussi bien l’effort que le transport distinguant ainsi entre la nécessité des procédés et de l’affect ob-cédant. Travail non pas limite mais toujours dynamique : du « geste photographique » dans l’attention de l’artiste à son environnement, de l’importance du bon moment et de l’habitude entre savoir-faire et désir, puis vient le moment de la « révélation » par un long travail recherche sur la lumière, le cadrage, les « filtrages ». Pas de nature morte ni de « captation » : il s’agit d’appréhender l’architecture des choses, d’approcher l’intimité de leur mouvement et de recueillir en une impression leur passage, une in-tension dont le savoir-faire donne les moyens de la transmission. Ni figer ni intemporel ne signifient pour l’artiste mise hors-jeu de l’existence des choses mais bien l’affirmation d’une vie psychique liée à notre rencontre avec elles : chaque cliché participe ainsi de constitution d’une intimité mondaine « qui du plus affreux objet fait un objet aimable ».

 

       S’agissant d’une inscription de sa rencontre avec la Nature, l’artiste évite l’idéal naturaliste de la « carte postale » pour tenter de rendre l’épaisseur du réel par le jeu subtil de la variation luminescente : ainsi, la transformation du gradient de lumière fait apparaître l’objet et l’espace dans lequel il se déploie.

Tours
amboise / castel / loire

       La scénographie de la lumière ne participe pas d’une peinture du paysage mais concourt véritablement à la mise en place d’une dramaturgie de la constitution hétéronome d’un paysage : elle est l’élément révélateur des interactions fondatrices du monde. Fiat lux mais dans l’éclat de son intensité, la lumière aveugle et laisse apparaitre ce qui restait auparavant dans l’ombre. Ainsi, en obscurcissant, elle rend la vue :

« Maintenant, je m'encrapule le plus possible. Pourquoi ? Je veux être poète, et je travaille à me rendre voyant : vous ne comprendrez pas du tout, et je ne saurais presque vous expliquer. Il s'agit d'arriver à l'inconnu par le dérèglement de tous les sens. »3

photographer photographe photo festival musique divers ambiance

       La lumière est bien cet éther dans lequel nous baignons, c’est-à-dire qu’elle est matière elle-même et elle fait le lien entre les choses du monde, les sujets et leurs objets. La manipulation de « filtres », comme autant de points de vue possibles, permet d’en faire apparaître les plissements. Ainsi, la lumière ne donne pas seulement la vue : elle est à l’origine de la vie psychique du voyant, de la manifestation d’une conscience de l’altérité et des affects.

 

 

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       Variation de la couleur et des textures par « touches » de lumière et déplacement du cadrage d’un objet apparemment fixe : l’emprunt à la « série » impressionniste est le moyen pour le photographe de conduire à une synthèse phénoménologique :

« La même couleur apparaît "dans" un divers ininterrompu d’esquisses de couleur […]. Une seule et même forme (donnée corporellement comme identique) m’apparaît sans cesse à nouveau "d’une autre manière", dans des esquisses de formes toujours autres »4

« En outre, au sein de l’unité concrète de la perception, ces data sont animés par des "appréhensions" [et exercent] la "fonction figurative", ou bien s’unissant à elles, opèrent ce que nous nommons "l’apparaître" de la couleur, de la forme… Ainsi s’élabore, en y combinant encore d’autres caractères, la composition réelle de la perception, qui est la conscience d’une seule et même chose »5

crow
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       C’est dans ce processus synthétique que se constitue une conscience intime du temps, c’est-à-dire non pas de son passage mais de son immanence, de ce qui permet au maintenant d’avoir lieu et à l’instant de ne plus passer en ne visant plus l’objet selon l’avant et l’après mais dans la totalité du temps. Pourtant, ce qui se révèle alors, c’est que le Moi n’est pas le principe constitutif de l’unité du monde car si le temps se donne d’un seul bloc, comment penser le temps comme composition d’instants par un sujet ? La réduction temporelle à l’Instant est la condition d’un retour à la sensation et à une energeia de la réceptivité provoquée par la destitution du sujet et de l’objet.

 

 

       La photographie de Cyril L. est le regard singulier d’un artiste portant une attention particulière à la Nature, c’est-à-dire aux choses du monde que nous sommes également, et nous invitant à réévaluer le rapport que nous entretenons avec elles depuis le dessaisissement des idées que nous en avons.

Michael Garancher ,

    " J'avais envie d'adresser mes sincères remerciements à cet ami  qui a élaboré cette préface , Michael Garancher, qui me soutient  & m'encourage ".

1 CHASTEL, André, Léonard de Vinci. Traité de la peinture, Paris, Berger-Levrault, 1987, p.89

2 DUFRENNE, Mikel in DUCROS, Franc, Le poétique, le Réel, Méridiens Klincksieck, 1987

3 RIMBAUD, Arthur, Lettre à Georges Izambard du 13 mai 1871

4 HUSSERL, Edmund, Ideen I , Paris, Gallimard, coll. Tel, 1985, p.132

5 Ibid, p.133

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